dimanche 25 septembre 2016

Profession Traducteur, où il est question de Haydn, du Kalevala, de Jim Morrison, mais aussi des brodeurs violonistes, du terrain de tennis, des militaires dont la sœur est bibliothécaire corse, d'un jars survolant la Suède, et des allumettes qu'il faut laisser traîner

Avis aux traducteurs : si vous débutez dans le métier, on ne saurait trop vous conseiller la lecture de Portraits de traducteurs, le numéro 50 de la revue TransLittérature, qui fête par la même occasion ses 25 ans de publication. Cette revue, née en 91, qui compte plus de trois cents contributeurs, est édité par l’ATLF, l’Association des Traducteurs littéraires de France. Et ce numéro 50 est exclusivement composé d’entretiens avec des traducteurs, à qui l’on a demandé de retracer leur parcours, d’évoquer leurs motivations, etc. Si donc vous faites vos premiers pas dans le monde enchanté de la traduction – ou même si vous êtes un translateur chevronné – foncez dessus.

Qu’est-ce qui fait qu’un jour on devient traducteur ? A cette question, les réponses, si elles sont multiples, restent toujours très personnelles et surprenantes. Pour Matthieu Dumont, traducteur de l’allemand et de l’anglais, tout a commencé à un oratorio de Haydn, La Création. Il chantait dans un chœur, en allemand, et « de cette émotion esthétique initiale a germé [son] affection pour cet allemand sensuel, courroucé, démiurgique ». Haydn, donc. Mais pas que. Dumont ne pouvait également s’empêcher de traduire mentalement les paroles des chansons de rock anglais qu’il écoutait. Oui, parce que Riders on the Storm, de Jim Morrison, on peut le fredonner aussi « passagers de la tourmente »… Autre élément fondateur : la lecture. Yes, because « faire des trucs impensables comme lire toute La légende des siècles », c’est formateur. Notez ça, jeunes traducteurs. Fermez votre Robert & Collins et ouvrez Hugo, ou Proust, ou Claude Simon, vous gagnerez non pas du temps mais de quoi exercez votre mastication de la langue.

Traduire, c’est traduire un texte. Un bon texte ? De préférence, car « un bon texte a pour fonction d’empêcher qu’on s’encroûte, de soumettre toujours notre langue à son épreuve inédite » (toujours Dumont). Donc, travaillez votre revers, les aminches, puisqu’il en va « des traducteurs comme des joueurs ou des joueuses de tennis » : il y a ceux qui bossent en fond de cour, et ceux qui montent au filet – l’image, là encore, est de Dumont, et elle n’est pas sans pertinence.

Les entretiens se succèdent, tous passionnants, animés, sous-tendus par une évidente flamme. Emmanuelle et Philippe Aronson vous apprendront comment fonctionner en binôme, pardon, en couple, et qu’il peut être utile de se faire conseiller par le frère d’une amie bibliothécaire corse, militaire fraichement débarqué d’Irak qui repart en Afghanistan. Traduire, c’est aussi ça : s’engager.
Valérie Le Plouhinec, qui traduit de l’anglais des textes pour la jeunesse, compare, elle, le traducteur à un « brodeur-violoniste », ainsi qu’à une « dentellière-comédienne » – tout un programme. François-Michel Durazzo (traducteur de l’espagnol et du catalan, entre autres…), rappelle à juste titre que « traduire, c’est lire de manière active. C’est lire et écrire en même temps. »

Souvent, l’envie de traduire vient d’une origine familiale (« j’ai commencz à apprendre le polonais, parce que j’ai perdu ma grand-mère à ce moment-là, dont la famille, demeurant à Lodz, ne parlait pas d’autre langue » — Frédérique Laurent), d’un voyage, de l’achat d’un livre, comme c’est le cas pour Antoine Chalvin, qui, parti sac à dos en Finlande, acheta sur place une méthode de finnois et la traduction française du Kalevala. Vous pouvez aussi vous fourvoyer en maths sup, comme Laurence Sendrowicz, mais rêver de faire du théâtre pour finir par aller en Israël et devenir, chemin aidant, traductrice de l’hébreu. Ou faire un saut dans une librairie, comme Danièle Valin, et tomber sur un livre d’Erri De Luca, et hop, c’est le début d’une idylle textuelle promise à un bel avenir. Ou, là encore par la magie d’un livre – Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la suède, découvert au CM1, s’éprendre d’un pays, puis de sa langue – le cas de Jean-Baptiste Coursaud, qui a retraduit Le Palais de glace, la merveille de Tarjei Vesaas.

Le point commun à tous ces travailleurs du texte ? La passion. Une passion née d’une rencontre, d’un livre, d’un voyage – parce qu’un master, c’est bien joli, hein, mais si vous ne brûlez pas déjà un petit peu, inutile de jouer avec les allumettes.
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TransLittérature, n°50, automne 2016, éditée par l’ATLF, 10€

(Merci à Corinna Gepner, trésorière de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) et membre du conseil d’administration du régime RAAP, le régime de retraite complémentaire des auteurs, qui a eu la gentillesse de m’envoyer un exemplaire de la revue)

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